Interview Denis Gargaud-Chanut

 « Lorsque tu gagnes les Jeux olympiques tu ne touches plus terre pendant un long moment. »

En 2012, Tony Estanguet triple champion olympique tire sa révérence. Dans l’ombre de ce champion naît dans le même temps un autre céiste d’exception, un besogneux, un revanchard, un travailleur. A coup de pagaie dans la mer méditerranée dès son plus jeune âge, Denis Gargaud-Chanut s’est forgé un mental d’acier qui lui permettra de triompher sur toutes les compétitions dont les Jeux olympiques. Une carrière en or, qui ne fait que commencer à 32 ans.

Bonjour Denis, la question est devenue traditionnelle mais comment ce sont déroulés ces deux mois de confinement ? A en croire ta petite vidéo Instagram la forme est là ?

Difficile de se plaindre et difficile de se réjouir …. La situation était compliquée pour nous les sportifs, mais aussi pour toutes les autres branches de métier. J’ai essayé de faire de mon mieux pour garder la forme, tu cherches, tu imagines et tu innoves.

En tant que sportif de haut niveau, tu es généralement 300 jours de l’année concerné par ton sport. Lors de ce confinement une autre passion est-elle apparue dans ta vie ?

Un peu de cuisine mais sans plus. Pour ne rien vous cacher, cette « pause » m’a fait prendre conscience d’une chose, j’aime énormément le sport et ma discipline. Chaque année, nous passons énormément de temps sur les bassins, cette rupture a été trop brutale, elle va laisser des traces.

Le déconfinement, tu es le premier sportif avec qui nous pouvons en parler. Sportivement est-ce que ça va changer quelques choses pour toi ?

Deux choses. Tout d’abord je vais enfin pouvoir renouer le contact avec l’eau vive puis, retrouver un équilibre psychologique.

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Désormais, Denis s’entraînera du côté de Pau.

« Maintenant à Pau j’ai tout pour être un sportif heureux »

Le canoë-Kayak, c’est une discipline qui mobilise de nombreuses caractéristiques (les muscles, le mental, autres). A 12 ans, pourquoi choisir ce sport ?

Une chose est sûre, j’ai oublié de me poser ces questions (rires). Ce choix ? C’est avant tout une passion pour l’eau et cette discipline me proposait un défi de taille. Dès l’adolescence j’adorais relever des défis, celui-ci en était un.

Marseille Mazargues Canoë Kayak, que représente ce club pour toi aujourd’hui ?

Mes racines, ma fondation, ma colonne vertébrale de sportif. Ce club c’est mon tout, c’est un vrai repère pour moi. J’ai emmagasiné beaucoup d’expériences sur la mer méditerranée.   

Avant d’évoquer tes heures de gloire, parlons de ton début d’année mouvementé. Tu as quitté fin décembre les installations de Marseille pour rejoindre celles de Pau, en grande partie à cause des promesses en l’air de la municipalité sur le projet d’un bassin d’eau vive.

Elle l’est sans l’être. Je m’explique, Marseille c’est ma ville celle qui m’a vu grandir et qui m’a forgé un caractère, donc quitter la cité phocéenne et ma famille c’est très compliqué. Maintenant à Pau j’ai tout pour être un sportif heureux, des amis, un stade d’eau vive et une qualité de vie parfaite pour mes enfants. De plus, la ville de Marseille est devenue très polluée, c’était un choix évident. Pour évoquer brièvement le projet de bassin à Marseille, j’ai été naïf de croire aux promesses de politiciens. 

Les négociations avec la mairie sont définitivement rompues ?

Je n’en sais rien et je ne veux personnellement plus en entendre parler. Je suis vexé d’y avoir cru.

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Denis Gargaud-Chanut, aux Jeux olympiques de Rio 2016.

« Le ticket pour les Jeux olympiques s’obtiendra sur l’eau et c’est tant mieux. »

Sportivement, ton objectif avant le report des Jeux Olympiques était d’atteindre ton pic de forme le 15 mai pour les championnats d’Europe à Londres ?

En quelque sorte oui. Londres était l’étape à ne pas manquer, puisque ça vous donne un accès direct pour les Jeux olympiques. Toutefois c’est un peu plus subtil, car l’idée c’était d’enchaîner sur les Jeux. Finalement, le pic de forme je ne le cherchais pas vraiment.

Courant Mars, le bonheur des uns fait le malheur des autres. À la suite de l’annulation du championnat d’Europe, la fédération t’apprend par What’s app que tu es qualifié directement pour les JO au détriment de Cédric Joly et Martin Thomas puisque on prend le classement mondial au 6 mai. Remporter sa qualification en C1 de cette façon, c’est difficile vis-à-vis des autres ?

La situation est surtout difficile pour moi. Je considère qu’une sélection se gagne sur l’eau, mais d’un autre côté si cette décision avait tenu jusqu’au bout je n’aurais pas souhaité remettre ce ticket en jeu. A ma place, qu’auraient fait les autres ?

Avec le report des Jeux olympiques, la question ne se pose plus ?

Désormais cette histoire appartient au passé, les sélections vont être remises à plat. Le ticket pour les Jeux olympiques s’obtiendra sur l’eau et c’est tant mieux. Cette situation ne me convenait pas.

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Dans l’aire d’arrivée, il laisse éclater sa joie.

« C’est une revanche sur 2012 à 200% ! »

En 2012, tu étais à la lutte avec Tony Estanguet pour la qualification aux JO de Londres, malheureusement tu échoues. Cédric Joly, 24 ans, champion du Monde en 2019, se retrouvait à son tour à la même place avec cette annulation. Est-ce que l’attribution des places ne devrait pas être revue ?

C’est un débat éternel, oui ou non la réponse n’est pas simple. Je n’ai pas toutes les cartes en main pour répondre à cette question.

D’ailleurs Tony Estanguet est une personne qui t’a tiré vers le haut ou au contraire fait de l’ombre ?

Un peu des deux, mais dans les deux cas ce n’est pas grâce ou à cause de lui. Lorsqu’il m’a tiré vers le haut c’est que j’ai su élever mon niveau face à lui, et dans le cas contraire je n’ai pas mis les ingrédients nécessaires pour dépasser cette ombre. De toute manière Tony (Estanguet) a toujours joué son rôle d’excellent compétiteur.

Venons-en au moment que tout le monde attend. Le 9 août 2016, tu deviens champion olympique à Rio. Après la course c’est le couronnement d’une carrière ou une revanche sur 2012 ?

C’est une revanche sur 2012 à 200% !

Un titre olympique, comment cela se fête ?

De mon côté sur le long terme, lorsque tu gagnes les Jeux olympiques tu ne touches plus terre pendant un long moment. De retour en France j’ai fêté mon titre avec ceux qui m’ont emmené jusqu’au sommet, mais, sans forcer sinon ton image envers les médias et les partenaires se dégrade

Lorsqu’on remporte le Graal chez un sportif, quelle est la technique pour rester un grand compétiteur ?

Je n’ai toujours pas la réponse, encore aujourd’hui, j’y réfléchis.

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Un palmarès en or.

« Ça tombe bien j’aurai 37 ans en 2024 ! »

Par équipe, en individuel, en C2 ou en C1, ton palmarès est vertigineux. 1 fois champion olympique, 3 fois champion du monde, 2 fois champion d’Europe, 4 fois champion de France et les victoires en Coupe du Monde ne se comptent plus sur les doigts des deux mains. Le petit Denis de 12 ans, que se dit-il quand il regarde derrière lui ?           

Il regarde devant lui (rires) ! Lorsque ma carrière sera terminée, je pourrai me permettre quelques flashbacks.

 Lorsqu’on voit la longévité et la régularité de Michal Martikan (Slovaquie/40 ans) qui est sur le circuit depuis 1995, on en vient à se demander, à quel âge un céiste atteint-il son âge de maturité ?

37 ans ? Ça tombe bien j’aurai 37 ans en 2024, si vous voyez ce que je veux dire (rires).

Emmanuelle Brugvin, Tony Estanguet, Cédric Joly et toi, tous champion du Monde en C1 à différentes époques. Comment expliques-tu cette réussite française ?

La France, c’est une nation avec un vrai savoir-faire. L’école française est très bonne que ce soit en club ou en équipe de France.

Nous sommes presque à la fin de l’interview et voici notre question un peu décalée. Tu as dit chez nos confrères de 20 minutes « J’aime Marseille, mais Marseille ne m’aime pas ». Rassure le peuple marseillais, tu vas soutenir l’OM en ligue des Champions ?

Je soutiens les champions. S’ils vont au bout je serai forcément content. En revanche, si les résultats n’arrivent pas je dormirai sur mes deux oreilles.

Denis, c’est la fin. C’est surtout le temps pour nous de te remercier et de te souhaiter bon vent pour la suite (la breloque à Tokyo on l’espère). A toi les mots de la fin …

Merci pour cette interview, je ferai tout pour réussir !

QUESTIONS FLASHS

  • Chanteur préféré ? Bob Marley
  • Chanson préférée ? No woman no cry – Bob Marley
  • Films / Séries préférées ? Interstellar
  • Bassin préféré ? En ce moment « tous »
  • Céiste préféré ? Un mélange entre Jon Lugbill, Tony Estanguet et Michal Martikan
  • Un souvenir ? La naissance de mes filles

Réseau social

Instagram : @denis.gargaud

Vidéo

https://www.francetvinfo.fr/sports/jo/rio-2016-denis-gargaud-chanut-un-canoeiste-en-or_1584677.html

Guillaume BESSON

Publié par Guibess

Étudiant en journalisme à Lyon. Attiré par le Grand football et observateur de nombreux autres sports !

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